Monologues et dialogues

Nelligan, Neige, Nation

La semaine dernière j’étais à Montréal et j’en ai profité pour bouquiner. Par chez nous les livres en français sont rares et d’en trouver un qui m’intéresse relève de la chance pure et simple. Quand je vais au Québec, j’en profite. Dans une friperie, je suis tombé sur un recueil d’Émile Nelligan que j’ai rapporté à la maison.

Bon, je vois les yeux se rouler derrière l’écran. On n’est pas tanné d’entendre parler de la neige qui a neigé? Comme tout le monde, j’ai dû réciter ce poème fatidique parce que ce doit être un devoir dans toutes les écoles francophones du pays. Mais le livre m’a attiré quand même, et encore plus quand je l’ai ouvert.

Je dois vous avouer que j’ai généralement une aversion pour la poésie québécoise. Très souvent elle traite d’un sentiment national que je ne partage pas, étant donné que je ne fasse pas partie de ladite nation. L’identité, et particulièrement l’identité nationale, est exclusive par définition; de lire l’éloge ou les maux d’une nation qui m’exclut ne m’attire pas particulièrement. Mais j’ai feuilleté le livre et les poèmes n’étaient pas de cette trempe, alors je l’ai pris. D’ailleurs, il est mort en 1941, soit bien avant la Révolution tranquille. Dans ce temps-là on était simplement canadien-français.

À présent, ce qui me frappe le plus en lisant le recueil c’est que le legs culturel d’un artiste puisse être distillé et réduit à une image, au service de la rhétorique nationale et au détriment de l’artiste. Quand tu es jeune et qu’on te dit que le poète est génial mais qu’il est devenu fou parce qu’il a trop fait neiger la neige, tu te demandes c’est qui le fou : le poète ou l’enseignant? Avec le recul, Nelligan mérite toute l’éloge et la gloire qui lui est accordée; ses poèmes sont réellement captivants. C’est encore plus surprenant lorsqu’on sait qu’il était très jeune lorsqu’il les a composés. S’il avait vécu cent ans plus tard, on ne l’aurait pas mis à l’asile; on l’aurait probablement aidé à passer à travers la crise et il aurait produit encore plus de chefs-d’œuvre.

Mais pour l’amour du Ciel, chers concepteurs du mythe national québécois, pouvez-vous arrêter de nous parler de la neige? Ça commence à être gênant. Il y a quelques années, je discutais avec une amie Française qui avait étudié à Rivière-du-Loup en film documentaire. TOUS les projets sauf le sien traitaient de l’hiver, de la neige, ou de la cabane-à-sucre. Pensez-vous qu’elle ne l’a pas remarqué?

Ma mère a prêté un roman québécois à Erika, qu’elle a dû lui retourner après avoir lu trois chapitres parce que ça faisait DIX FOIS que le personnage principal échappait ses mitaines dans la neige. Les russes ont de la neige, mais Tolstoï n’obsède pourtant pas avec les mitaines des paysans… Ni celles de Nicolas Rostov…

Et pourquoi donc, de tous les poèmes de Nelligan, doit-on obligatoirement réciter celui qui parle de la neige et qui fait dormir les enfants sur les bancs d’école? For real, Nelligan a des poèmes qui fessent dans l’dash. Faites-nous les découvrir! Et puis, Soir d’hiver n’est pas un mauvais poème, mais on l’a abattu. On a peut-être même abattu le poète comme tel à force d’imposer ce poème, ad nauseam, aux étudiants francophones du Canada. Plus personne n’a envie de lire l’auteur, mais la faute ne lui revient pas. On s’est servi de lui et il écope.

Je m’imagine Nelligan, six pieds sous neige, à écrire des poèmes de bêtises à ceux qui décident des curriculums de français et des icônes nationales. Prenez garde car il reviendra, dans une autre vie, écrire à votre sujet.

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