Monologues et dialogues

Dialogue avec Geneviève R-B

Dans mon premier article j'ai parlé du concept de ce blog qui devait inclure des discussions. L'idée était d'apprendre à connaître d'autres artistes, mais j'ai aussi été séduit par l'idée de la correspondance. Ce n'est plus trop dans l'air du temps d'avoir un pen pal mais je pense qu'on se dit des choses par écrit qu'on ne se dirait pas en personne, à froid, sans bien se connaître. Et quand l'idée m'est venue, c'est à Geneviève et Alain que j'ai pensé parce qu'ils sont sympathiques et parce que j'aime ce qu'ils font, autant en musique que par écrit. Voici donc quelques pensées qu'on s'est échangées.

Max : Récemment, j’ai eu la chance de revoir de vieux amis dont plusieurs que je n’avais pas vus depuis deux ans. Nous étions six, tous des artistes chacun à notre façon, certains par formation, certains par carrière, et certains simplement artistes dans l’âme. Un moment donné on est tombé sur le sujet d’angoisse par rapport à la création. Tout le monde a réalisé qu’on vit une peur accablante quand arrive le temps de créer. Ou plus précisément, tout le monde a réalisé que les autres aussi vivent la même peur, nervosité, résistance à la création. Est-ce que c’est quelque chose que tu vis toi aussi?

Geneviève : C’est drôle, quand j’ai commencé à composer, j’étais au secondaire et je savais pas trop comment j’y étais parvenu… Mais j’avais réussi à ce que mes premières compos soient assez bonnes pour que je remporte des concours avec. Le fait de gagner des prix avec mes premières chansons, ça m’a complètement bloqué pendant plusieurs années ensuite. J’avais peur de me remettre à la création parce que j’avais toujours juste en tête le « succès » de mes 2 premières et j’avais l’impression que c’était impossible à accoter. Ça m’a donné pendant longtemps le sentiment d’imposteur en tant qu’auteure-compositrice-interprète parce que j’avais fait un bon bout de chemin avec…. les 2 seules chansons que j’avais. J’ai fini par me convaincre à un moment donné que c’était du passé et que l’inspiration ne reviendrait plus. Heureusement, je m’y suis replongé et mes nouvelles compos ont eu le même genre de rayonnement que les précédentes, heureusement. Ou malheureusement..? Parce que ça continuait à me mettre la pression chaque fois que l’idée d’écrire me repassait par la tête.

J’ai l’impression que quand on a envie de créer, on aurait envie que ce soit beau tout de suite et on est souvent déçus, parce que la première chose qui sort, c’est de la matière brute sur laquelle on devra se pencher longtemps avant d’en retirer un produit fini. On oublie que le processus est long et ça fait peur quand on s’y replonge. On ne voit pas le bout, on se demande s’il y en aura un, si ça vaut la peine de mettre le temps et l’effort. Y a aussi les fameuses fois magiques où l’inspiration est soudaine et où on arrive à tout créer en quelques minutes. On aimerait ça que ce soit toujours aussi facile, mais ce sont des exceptions.

M : C’est intéressant ce que tu dis parce que c’est un phénomène qui détruit souvent des carrières prometteuses. On pense à l’écrivaine Harper Lee ou au cinéaste Orson Welles, qui ont tous deux souffert de l’ombre que leur fit leur première grande œuvre. Du coup, avec la pression d’être génial, soit ils se désistent, soit ils se sabotent, soit ils se cachent pour créer.

C’est drôle parce qu’un moment donné, quelqu’un m’avait dit dans une résidence d’écriture « cette chanson-là je n’y toucherais pas. Ne change rien. » Et puis les trois années suivantes ont été les moins créatives de ma vie parce que je ne voyais pas comment je pourrais refaire un homerun. Pour ce texte-là, j’avais écrit une lettre que j’avais réduite en chanson; le tout n’avait pris qu’une heure tout au plus. Ça rend la chose beaucoup plus difficile quand inévitablement, la fois d’en suite, le travail est ardu. Tu te demandes si tu t’acharnes sur une mauvaise idée (parce qu’une bonne idée devrait être facile?), tu juges chaque ligne immédiatement et ce faisant, tu réduis les chances que l’idée se forme. Tout comme il y a des accouchements plus faciles que d’autres, l’important au fond, c’est que la naissance ait lieu.  

Mais comme tu dis, le processus fait peur. On ne peut pas savoir où ira l’idée si on la travaille. C’est un risque de mettre son énergie dans quelque chose sans savoir où ça ira.

G : C’est spécial la création, parce qu’il y a une grande partie où on ne contrôle rien. L’humain aime pourtant bien avoir le contrôle. Je crois que l’idéal serait de garder constamment le muscle en forme. Plus on laisse passer de temps entre nos périodes créatives, plus le saut est grand et plus la procrastination nous fait de l’œil.

M : Je n’aurais pas pu mieux dire. Merci Geneviève! :)

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