Monologues et dialogues

Cet été-là

Ah cet été-là! Tu t’en souviens? Tu étais jeune, beau, à la mode. Tu ne pensais à rien. Tu vivais, tout simplement. Et puis, tu te promenais libre comme l’air en écoutant…

Je souhaite à tout le monde de connaître cet été-là, et d’avoir un band, voire un album qui représente à ses yeux sa jeunesse toute entière. Combien de fois mon père m’a-t-il raconté l’été où il se promenait en F-150 flambant-neuf en écoutant la cassette de The Cars, en allant ramasser sa blonde à Jogues; et puis les détails historiques sur le pickup, car il avait deux tanks à gaz avec une switch pour passer d’une à l’autre; et les cassettes, c’était nouveau, donc nouveau de pouvoir avoir de la musique dans l’auto… Et puis un moment donné dans l’histoire il parle d’un canot mais je n’écoute plus rendu là parce ses yeux s’allument de nostalgie et que je la vis en même temps. Mais toute cette histoire commence invariablement par The Cars et elle se termine par The Cars.

J’ose espérer que tout le monde aura un album marquant et une histoire semblable. Pour Dad c’était The Cars et le F-150. Pour moi c’était les Arkells et la Subaru grise. Bon. Un pickup c’est beaucoup plus viril, et les cassettes étaient beaucoup plus à la mode dans le temps que les CD dans le mien. Mais je me venge ici en disant—désolé papa—que la Subaru était à toi.

Les Arkells, dis-je donc, était le band de ma jeunesse et Michigan Left était l’album de cet été-là. Les fois avec Frankie en motocross, les fois en canot avec Crusty, la fois où j’ai jack-knifé avec le trailer, la fois où j’ai accroché (lire : décapité) le mirroir dans un parking intérieur… Arkells. Michigan Left. Ce char-là. Cet été-là. Et puis, pour couronner le tout, Erika et moi avons commencé à sortir ensemble à cause d’un concert des Arkells.

Ça reste aujourd’hui un de mes groupes préférés, mais en vieillissant, il me semble qu’il y a moins de moments marquants et donc de moins en moins de nouveaux souvenirs qui se rattachent à cette musique. C’est devenu mon album de prédilection quand la nostalgie s’installe. C’est aussi le groupe canadien qui représente pour moi le succès, et ce à quoi j’aspire entant qu’artiste. Tout ça pour dire que l’autre jour j’ai fait le saut parce que j’ai appris que je connaissais quelqu’un qui avait participé à cet album. Je m’explique.

Cette année, notre gros projet en gestation est un album anglophone pour Erika. C’est le plus gros projet que nous avons entrepris jusqu’à date, tous projets confondus. Autant en fait de budget, que d’ambition, que de personnel, le projet compte beaucoup de premières. Pour Erika, c’est son premier album complet. Pour moi, c’est la première fois où je réalise un album sans l’avoir composé. C’était la première fois qu’on essayait de faire des demandes de subvention dans le monde anglophone, et on a réussi ce pari. Du côté de la promotion et de l’équipe d’affaires nous allons collaborer avec plusieurs personnes pour une première fois, mais du côté du personnel artistique les assises étaient déjà solides, alors nous avions déjà fait affaire avec la majorité des gens qui participent à la production de l’album.

C’est le cas de notre technicien de mixage, Aaron Holmberg, à qui j’ai envoyé les dernières pistes vocales mardi dernier. C’est un gars super terre-à-terre qu’on a rencontré dans un événement de réseautage ici à Kingston et qui est très doué. Il a mixé le single Omen pour Erika en 2020, et nous savions déjà qu’il avait travaillé plusieurs années au studio du Tragically Hip (Bathouse) et participé à plusieurs de leurs albums. Mais ma surprise quand j’ai reçu sa notice biographique (truc de pro : inclure des bios en annexe de ta demande de subvention), c’est qu’il comptait The Arkells parmi ses crédits.

Vérification faite : il a travaillé sur l’album de cet été-là, Michigan Left, car les Arkells l’ont enregistré à Bathouse alors qu’il y était technicien de son. Pendant une fraction de seconde, en courant vers ma tour à CD, je me suis demandé si c’était vrai. J’ai tout de suite sorti cet album-là plutôt qu’un autre, sans penser, comme si j’avais un pressentiment que c’était le bon. C’est un des petits bonheurs quand tu es artiste : parfois tu travailles avec des gens qui, de près ou de loin, ont marqué ta vie à leur insu. Je suis convaincu que je suis le seul à trouver la coïncidence importante mais je trippe à chaque fois que j’y pense, car de travailler avec lui est un nouveau moment marquant par rapport à l’album de ma jeunesse. Je me trouve chanceux d’avoir ces gens-là dans mon coin de l’arène, car c’est quelque chose que je ne me serais jamais imaginé cet été-là.

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